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Une adhérente du SNALC Versailles attaque son principal en justice et gagne !

Par le jugement n°1603374 en date du 17 mai 2018, le Tribunal administratif de Versailles a constaté la violation par un Principal des dispositions de l’article R.421-9 du code de l’éducation.

Le Tribunal administratif a annulé, en conséquence, sa décision du 11 mars 2016 arrêtant la dotation horaire globalisée pour l’année 2016/2017.

Les circonstances de fait et de droit qui ont conduit à l’adoption de ce jugement doivent être précisées.

Le 15 février 2016, dans le cadre de la préparation de l’année scolaire 2016/2017, le Conseil d’administration du Collège Paul Eluard d’Evry a été amené à se prononcer sur la proposition de dotation horaire globalisée (ci-après DHG) présentée par le Principal de l’établissement.

Lors de la séance, deux enseignantes, représentantes des personnels élues au CA, ont déposé un amendement visant à modifier le tableau présenté par le chef d’établissement en introduisant en classe de 5ème une heure supplémentaire de grec hebdomadaire au titre du renforcement de Langue et Culture de l’Antiquité. Cette heure existait d’ailleurs avant la Réforme du collège dans le cadre d’une bilangue latin-grec dans cet établissement.

Lors de la commission permanente précédant le CA, le Principal avait écourté la discussion prétextant, sans la moindre précision, d’une soi-disant « illégalité » qui entacherait la proposition.

L’amendement a tout de même été déposé et soutenu par 6 élus du personnel éducatif et 4 élus de parents d’élèves.

Pour expliquer leur proposition, les enseignantes ont pris soin de joindre une motion développant successivement les sept points suivants :

  1. Le projet d’un renforcement des LCA proposé en 5ème était un projet pensé avant tout pour les élèves de ce collège avec son histoire, sa classification et son dynamisme. Cela faisait plusieurs années que les deux enseignantes tentaient de promouvoir l’enseignement des LCA au collège : options, ateliers, bilangue latin-grec et voyages en Italie.


La direction leur a d’ailleurs demandé de se renseigner auprès de l’IPR de Lettres classiques qui leur a ainsi répondu : « dans le cadre de l’autonomie et du projet d’établissement, vous pouvez continuer à faire vivre cette classe latin-grec. Les futurs programmes de LCA proposent d’ailleurs des échanges et des correspondances entre ces deux langues anciennes, le plus souvent possible. »

  1. Les décrets et circulaires émanant de l’Etat et concernant la Réforme du collège, attribuaient aux langues anciennes, rebaptisées LCA, et aux langues régionales un statut particulier qui était clairement précisé :

« Cette dotation horaire attribuée à l’établissement lui permet également, dans le cadre de son projet pédagogique, de proposer, pour les élèves volontaires, un enseignement de complément aux enseignement pratiques interdisciplinaires prévus à l’article 3, qui porte sur un enseignement de langues et cultures de l’Antiquité et sur un enseignement de langues et cultures régionales » (Arrêté du 19 mai 2015 art.7)

« Les établissements qui proposent aujourd'hui les options latin, grec et langues régionales disposeront donc des moyens nécessaires à la mise en œuvre dans les meilleures conditions des enseignements de complément en latin, grec et langues régionales. » (Circulaire du 30/06/2015)  

« La dotation horaire supplémentaire ne peut pas être utilisée, à l'exception des heures dédiées aux enseignements de complément, pour augmenter l'horaire hebdomadaire des élèves. » (Circulaire du 30/06/2015)

  1. D’autre part l’autonomie du CA en matière pédagogique et éducative reste définie par les articles R421-2 et L421-4du code de l’éducation 

- Article R421-2 « Les collèges, les lycées, les établissements d’éducation spéciale disposent, en matière pédagogique et éducative, d’une autonomie qui porte sur :

  1. L’organisation de l’établissement en classe et en groupe d’élèves ainsi que les modalités de répartition des élèves ;
  2. L’emploi des dotations en heures d’enseignement et, dans les lycées, d’accompagnement personnalisé mises à la disposition de l’établissement dans le respect des obligations résultant des horaires réglementaires […]»

- Article R421-23 : « Le conseil d'administration peut, à son initiative, adopter tous vœux sur les questions intéressant la vie de l'établissement. »

- Article L421-4 « Le conseil d’administration règle par ses délibérations les affaires de l’établissement. A ce titre, il exerce notamment les attributions suivantes : 1° Il fixe, dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur et des objectifs définis par les autorités compétentes de l’Etat, les principes de mise en œuvre de l’autonomie pédagogique et éducative dont disposent les établissements et, en particulier, les règles d’organisation de l’établissement… »

 Si le DASEN avait eu un problème lors du contrôle de légalité des décisions du CA, il aurait pu le faire savoir à son niveau mais pas avant la tenue du CA.

  1. La seule précision concernant une "dérogation accordée par le recteur d'académie", dont il avait été fait référence en commission permanente ne concernait que la contrainte d'amplitude quotidienne des 6 heures en sixième. (Décret du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements).

 

  1. Plus qu’ailleurs, cet enseignement facultatif proposé à tous les élèves volontaires de cet établissement REP et politique de la ville, était une chance. Dans le document de la DEPP sur le latin au collège paru en octobre 2015, il est noté, que concernant les résultats au DNB, il existe un écart entre latinistes et non latinistes encore plus marqué chez les élèves relevant de l’enseignement prioritaire : « Cet écart de 16 points entre latinistes et non-latinistes varie en fonction du milieu social. Il est de 5,6 points pour les élèves issus de milieu très favorisé et de 21,4 points pour les élèves issus de milieu défavorisé. » 

 En outre il a été rappelé que cette Réforme était dangereuse pour les élèves car elle diminuait les horaires disciplinaires en français, mathématiques, technologie, latin, allemand et supprimait des options qui fonctionnaient bien notamment dans cet établissement : Langue euro, DP3, ateliers 6èmes…

  1. Les élèves de 5èmes latinistes auraient eu 28h de cours comme leurs camarades du même cycle (4ème et 3ème). Aucune recherche de chronobiologistes ne justifie les 28h de cours aux 6èmes bilangues puis aux 4èmes et 3èmes latinistes mais pas aux 5èmes latinistes.

 

  1. Enfin si les parents d’élèves étaient d’accord et estimaient que cette heure facultative et supplémentaire était une chance pour leurs enfants, le texte de loi leur en donnait la possibilité : « Les collèges […] disposent, en matière pédagogique et éducative, d’une autonomie qui porte sur, sous réserve de l’accord des familles pour les élèves mineurs, les activités facultatives qui concourent à l’action éducative». (Décret du 20 janvier 2010)

 Lors du CA, le chef d’établissement a d’abord refusé de faire voter l’amendement et le tableau amendé. Après un débat houleux, le principal, sur conseil de son adjointe gestionnaire, a proposé de procéder à 3 votes :

  • Le vote sur la répartition de la DHG proposé et travaillé en commission permanente (rejeté à la majorité).
  • Le vote sur l’amendement (adopté à la majorité).
  • Le vote sur le tableau de répartition de DHG modifié au regard de l’amendement (adopté à la majorité).

 Cependant, dans le cadre du contrôle de légalité, le DASEN a décidé d’annuler la délibération du CA approuvant la répartition de la DHG en avançant « que les deux votes sur la DGH ont eu lieu à la même séance en méconnaissance des dispositions de l’article R.421-9 du code de l’Éducation qui prévoit qu’en cas de rejet de la proposition de la dotation horaire globalisée par le conseil d’administration, la commission permanente procède à une nouvelle instruction avant qu’une nouvelle proposition soit soumise au vote du conseil d’administration ».

 Une nouvelle commission permanente a donc été réunie mais, de nouveau, le principal a refusé catégoriquement d’intégrer le grec au projet de DHG. Le tableau sans grec a été présenté au nouveau CA du 11 mars 2016, et le principal a refusé tout amendement, limitant ainsi le choix des personnes amenées à se prononcer. Les élus devaient voter pour ou contre son tableau, rien d’autre. Sans surprise le tableau du principal a de nouveau été rejeté.

 Se fondant sur l’article R.421-9 du Code de l’Éducation, qui dispose qu’en « en cas de rejet de cette seconde proposition, le chef d'établissement en qualité de représentant de l'Etat arrête l'emploi des dotations en heures », le principal a pris unilatéralement la décision d’arrêter sa DHG.

 Rapidement, les personnes présentes ont fait remarquer au chef d’établissement que le premier vote ayant été annulé, le deuxième vote devenait, de fait, le premier, et qu’un second vote de DHG était nécessairement pour que les dispositions de l’article R.421-9 précitées puissent s’appliquer régulièrement.

Méprisant les avertissements formulés par les représentantes des personnels élues au CA, l’une d’entre elle, par le biais de son avocat, Maître Stéphane COLMANT, conseil habituel du SNALC, a saisi le Tribunal administratif de Versailles qui, par son jugement du 17 mai 2018, a relevé le caractère fautif du refus de faire voter l’amendement proposé par des membres du CA, et d’organiser un vote de DHG.

A la suite de l’intervention du jugement précité, Maître COLMANT a déclaré « être satisfait de l’annulation de la décision du 11 mars 2016 et de la condamnation de l’État à verser à [sa] cliente la somme de 1.000 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ». Il a tenu également « à souligner le courage dont a fait preuve [sa] cliente, qui n’a jamais faibli, y compris lorsque sa hiérarchie faisait pression sur elle pour qu’elle se désiste de son recours, en s’appuyant notamment sur une pétition inique signée par des collègues, plus désireux de faire plaisir à leur chef d’établissement, que du respect de la loi et de la personne humaine ».

La loi s’applique à tous et le chef d’établissement, premier représentant de l’Etat dans l’établissement, se doit d’être exemplaire quant à son application.