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Plénière sur la Réforme ou petits meurtres entre amis (ou pas) !

Enfin le grand jour arriva ! La direction avait repoussé l’échéance attendant désespérément le soutien d’un IPR. Et là quelle surprise ! Ce ne fut pas un IPR mais deux qui allaient venir nous « vendre » la Réforme. Le chef tout fier s’en vantait déjà : deux IPR ! C’est le gros lot ! Sauf qu’il avait oublié que notre collège était catalogué, stigmatisé (pour parler à la mode) car un groupe de syndicalistes avertis y sévissait…

Le programme des festivités nous avait été envoyé par mail quelques jours en amont afin de nous préparer psychologiquement :
13h30 à 14h10 : Présentation de la réforme : AP et EPI par deux IA-IPR dont une de lycée professionnel
5 minutes : Rejoindre les salles d’ateliers, Cf. groupes constitués ci-après
14h15 à 16h00 Ateliers AP / EPI : Atelier 1 AP 6e / Atelier 2 AP Cycle 4 / Atelier 3 EPI / Atelier 4 EPI
16h00 à 16h15 : pause (ouf !)
16h15 – 17h : Retour de chaque atelier par un rapporteur (10 min chacun) et questions.

Plusieurs éléments avaient attiré mon attention :
- Que venait faire là l’IA-IPR de lycée pro ? N’avait-elle pas d’autres chats à fouetter que la réforme du collège ? N’avait-elle pas des collègues PLP à inspecter afin qu’ils progressent plus vite dans leur carrière, au choix ou même au grand choix, plutôt qu’à l’ancienneté !

Lorsque j’ai soulevé le problème auprès de ma direction on m’a répondu qu’elle était très calée sur l’AP qui fonctionnait déjà depuis des années au lycée professionnel. Après en avoir discuté avec des amis qui enseignent en lycée pro, on m’a dit que l’AP s’y essoufflait et n’avait plus d’AP que le nom…
- Les groupes répartis en ateliers ont été faits en amont par la direction, sur quels critères ? le hasard certainement, si ce n’est que le groupe de syndicalistes avertis avait été éclaté (enfin presque).

Commença donc la première partie. L’IA-IPR en charge de l’AP ne nous apprit rien de plus que ce que la direction nous en avait dit en conseil d’enseignement un mois auparavant. On insista sur le fait qu’il fallait différencier « accompagnement personnalisé » et « accompagnement individualisé. »
Le premier s’appuyait sur les besoins des élèves pour renforcer leur autonomisation, leur estime de soi et leur sociabilisation par le travail de groupe notamment. Alors que le second était un travail spécifique en rapport avec les besoins de l’élève qui souvent travaillait seul. Il créait des parcours différents pour les élèves, ce qui était incompatible avec le collège unique, le but étant la maîtrise du socle commun (Personnellement je n’ai pas bien compris la différence si ce n’est qu’il fallait travailler en groupe … chose nouvelle pour tout enseignant comme tout le monde le sait).

On entendit également que le travail de soutien fait jusqu’à présent stigmatisait une certaine catégorie d’élèves qui étaient punis car ils devaient travailler plus que les autres. Il fallait à présent leur apprendre à apprendre. Nous nous attendions tous à la phrase redonner du sens au sens mais non, l’interlocutrice savait assurément que les blagues les plus courtes étaient les meilleures.

On nous a tout de même assuré que cette heure, prise sur nos horaires disciplinaires, et en classe entière (peut être dédoublée s’il restait des heures après le latin, les EPI, la co-animation des EPI …) nous permettrait d’avancer dans nos programmes, ouf ! Cela dit ces derniers étant curriculaires et la réforme systémique (deux nouveaux mots à notre lexique de profs basiques), nous avions d’autres priorités (ah oui, lesquelles ?!).

Et pour clore ce beau discours, on nous a conseillé la lecture du dieu des pédagogues : Jean-Michel Zakhartchouk, celui qui nous éclaire sur l’ « apprenance » et l’école du socle et grâce à qui cette réforme du collège a été pensée. Vous le pensiez à la retraite ou hors service, détrompez-vous ! Il est plus actif que jamais. Quel moment de grâce brutalement cassé par un collègue qui me faisait remarquer que ce grand pédagogue était co-éditeur de son livre…

Après 30 mn de présentation d’AP donc, il fallait laisser la place à l’IA-IPR en charge des EPI. Ce fut bref car visiblement elle n’y croyait pas elle-même. On apprit ainsi que l’EPI était un croisement en terme de compétences et qu’il permettait de donner du sens (ah nous y voilà !) et du lien. Malheureusement (ou heureusement) l’heure tournait et le groupuscule de syndicalistes avait déposé une quinzaine de questions diverses auxquelles il fallait un temps soit peu répondre. Seules trois questions ont obtenu une réponse, très floue.

On nous a alors invités à rejoindre nos groupes afin de produire une réflexion sur les AP ou les EPI. Comme pour les élèves, le travail de groupe a plus ou moins fonctionné (il faudra penser à travailler l’estime de soi chez les enseignants). Deux groupes ont fait remonter un vague compte-rendu. Un autre groupe n’a rien produit car trop de questions étaient restées sans réponses et notamment celles posées en questions diverses. Quant au dernier groupe, personne ne voulait parler jusqu’à ce que la direction donne un à un, à voix haute, le nom des collègues du groupe. Ce fut alors un règlement de comptes en direct.

Il faut préciser que dans ce groupe se trouvaient une collègue de latin et un collègue de technologie qui mieux que personne savaient que cette réforme était avant tout économique. Cependant quand ces deux collègues ont expliqué à leur groupe qu’ils risquaient de perdre une partie de leurs heures de cours dans le collège et devoir compléter leur service ailleurs, la nouvelle a été accueillie par un silence gêné voire indifférent. Ces deux collègues ont donc dit que réfléchir aux AP ou EPI ne les intéressait pas vraiment étant donné leur situation délicate. Devant une telle attitude (c’est scandaleux d’avoir peur de perdre son poste !) une collègue qui était venue pour travailler et réfléchir de façon productive (sic) a quitté le groupe en colère pour aller se plaindre à la direction.

Au moment du compte-rendu, une autre collègue fraîchement titularisée (et qui n’avait pas dit un mot dans son groupe) a pris la parole pour se plaindre du manque de professionnalisme de ces collègues qui avaient entravé la moindre réflexion. Il faut lui reconnaître qu’elle avait l’air plus à son aise devant la direction et les IPR que devant ses élèves. Toujours est-il que les deux collègues mis en accusation n’ont pas voulu répondre fatigués ou blessés par tant de bassesses et d’immaturité.

Alors le chef s’est décidé à répondre, dans les 10 mn qui restaient, aux 12 questions diverses restantes. Une collègue hostile au groupuscule syndicaliste (on ne sait jamais c’est peut être contagieux) a commencé à mettre son manteau en disant que ces questions posées par certains professeurs ne la concernaient pas. Vive la démocratie ! A chaque interrogation ou question de ce groupe, elle soufflait d’ailleurs bruyamment.

Le chef a donc fait sa réponse. Ce fut bref, bâclé et lâché sur un ton excédé et méprisant. Il a conclu en disant que si la réforme ne convenait pas à certains, il fallait qu’ils changent de métier.

Personne n’a rétorqué en disant que nous n’avions jamais dit refuser d’appliquer la réforme. Nous avons le destin de centaines d’élèves entre nos mains, il est de notre devoir de nous interroger sur ce que l’institution veut faire d’eux. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?

Devant une telle ambiance, les IPR n’ont pipé mot. En partant la collègue qui soufflait à nos interventions est allée leur faire la bise.

A la question de la documentaliste sur l’acquisition de la bible de M. Zakhartchouk aux frais de l’établissement pour l’avoir à disposition au CDI, mes collègues et moi-même avons poussé un cri du cœur : non merci !

Nous sommes donc tous rentrés chez nous, pas plus éclairés qu’avant la réunion, mais convaincus que cette réforme allait davantage nous diviser.

Agatha Christie.