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Devoirs faits ou comment s’enliser dans le pédagogisme

Le dispositif « devoirs faits », annoncé en mai dernier, est très différent de l’aide aux devoirs. L’objectif est le même : « un temps d'étude accompagnée pour réaliser les devoirs » mais le moyen d’y parvenir très différent.

Les devoirs écrits à l’école primaire sont interdits depuis 1956. Seul l’apprentissage des leçons est autorisé. Cependant personne n’est dupe, les devoirs, à la demande des parents en premier lieu, continuent d’exister. Mais à l’heure où l’égalitarisme est à la mode, comment faire pour aider ceux qui ne sont pas aidés à la maison ?

Depuis quelques années, les collégiens pouvaient rester au collège le soir grâce à l’accompagnement éducatif. Ce dispositif leur proposait toutes sortes d’ateliers (théâtre, danse, chant…) mais aussi parfois la possibilité de se faire aider par des professeurs ou des assistants d’éducation grâce à l’« aide aux devoirs ». Cela n’était pas idéal car quiconque l’avait déjà expérimenté pouvait dire que c’était bancal. En effet, comme il fallait rentabiliser, un adulte encadrait entre 10 et 15 élèves. Si cet adulte consacrait 5 minutes par élève, l’heure ne lui suffisait pas. Le but était surtout que les élèves fassent leurs devoirs au calme, au chaud, loin des sollicitations culinaires ou numériques et, en cas de besoin, fassent appel à l’adulte.

Lors de la mise en place de la Réforme du collège, l’accompagnement éducatif a été supprimé dans tous les collèges hormis dans ceux relevant de l’éducation prioritaire.

Le dispositif « devoirs faits », annoncé en mai dernier, est très différent de l’aide aux devoirs. L’objectif est le même : « un temps d'étude accompagnée pour réaliser les devoirs » mais le moyen d’y parvenir très différent. Pourtant, si on lit le Vademecum à destination des chefs d’établissement, on a comme une étrange impression de déjà vu.

Outre le fait que les intervenants sont plus nombreux : équipe enseignante, CPE, AED, personnels administratifs, volontaires en service civique et associations (il faudra tout de même être vigilant quant aux prérogatives de chacun), les prescriptions données dans le Vademecum sont bourrées de lubies pédagogistes, dont la Réforme du collège et le LSU nous ont donné un aperçu :

Travail en équipe imposé : « Devoirs faits doit permettre aux équipes pédagogiques de réfléchir collectivement à la question du travail personnel de l’élève : quel est le sens des devoirs, au regard notamment du travail réalisé en classe ? »

« Il est tout à fait envisageable que des enseignants de même niveau et matière proposent des exercices où la compétence principalement travaillée est commune et a fait l’objet d’activités semblables en classe. » 

- Travail par compétences obligatoire : « Quels sont les types de tâches proposées aux élèves (application, mémorisation, production, etc.) ? »

« Il est nécessaire de prévoir un lien explicite entre Devoirs faits et les évaluations permettant de positionner les élèves sur un niveau de maîtrise d’un savoir ou d’une compétence : le programme est au service de la progression des élèves ».

- Verbiage : « Questionner les démarches proposées, interroger ses propres méthodes, mettre à l’essai ce qu’il [l’élève] a compris, réinvestir les apprentissages » 

« Lorsque cela s’avère pertinent, les situations de coopération entre pairs peuvent être favorisées pour améliorer l’écoute et valoriser l’estime de soi chez les élèves ».

- Pédagogie différenciée : « Les devoirs donnés aux élèves sont choisis en fonction des progressions pédagogiques et des diagnostics établis sur la maîtrise d’un savoir, d’une compétence et des capacités de réinvestissement des élèves. Il est utile de proposer des exercices diversifiés et différenciés, en fonction des besoins des élèves. »

- Le numérique : « Veiller, lors des séances Devoirs faits, à donner accès à des ressources numériques et veiller à ce qu’elles soient utilisées à propos. »

- Caporalisation : « Il est nécessaire de prévoir un lien explicite entre Devoirs faits et les évaluations permettant de positionner les élèves sur un niveau de maîtrise d’un savoir ou d’une compétence : le programme est au service de la progression des élèves. »

« Que permettent-ils [les devoirs faits] de consolider ? Qui les prescrit ? Quelle quantité de travail représentent-ils et selon quelle périodicité ?

« Les objectifs des devoirs donnés par chaque professeur doivent être clairement affichés pour l’intervenant Devoirs faits. Cela suppose une formalisation minimale des échanges entre le professeur prescripteur et celui qui supervise l’accompagnement des élèves. »

Qui sera alors ce superviseur et quel sera son rôle ? « Il est recommandé de désigner dans chaque établissement un coordonnateur du programme. Ce coordonnateur a pour fonction d’organiser Devoirs faits et de coordonner les actions des différentes parties prenantes, en fonction des orientations données par le chef d’établissement après consultation du conseil pédagogique et en s’appuyant sur les ressources locales. […]
[Cette fonction] pourra être éligible, comme pour d’autres fonctions de coordination, après avis du conseil d’administration, au versement d’indemnités pour missions particulières
»

Ce coordinateur, choisi par le chef d’établissement, touchera ainsi une IMP et pourra accéder aux cahiers de texte de ses collègues, coordonner les équipes et faire un retour au chef d’établissement sur l’efficacité du dispositif ou pourquoi pas sur l’utilité des devoirs donnés par tel ou tel professeur… La frontière est mince.

Ce superviseur-coordonnateur n’aura-t-il pas une fonction de supérieur hiérarchique comme on peut le voir parfois chez certains coordinateurs disciplinaires ou référents cycles, culture… ?

Rappelons que ce Vademecum n’a absolument aucune valeur réglementaire et que l’enseignant est seul décisionnaire des devoirs qu’il décide de donner à ses élèves (tout comme des notes, des appréciations de bulletins…).

Une fois de plus les bonnes questions ne sont pas posées : pourquoi les élèves ne travaillent plus ou presque plus ? Comment leur redonner la volonté de l’effort et l’envie d’être méritant ? Comment se fait-il que les mécanismes d’accompagnement se multiplient à ce point ? (AP, PPRE, PAP, Devoirs faits…) ? Pourquoi une telle hétérogénéité dans les classes ?

Enfin le SNALC vous invite à vous montrer vigilant vis-à-vis de ce dispositif. L’idée d’aider les élèves à faire leurs devoirs est une bonne idée en soi (même si ce n’est pas nouveau) mais il ne faudrait pas qu’elle serve d’alibi pour empiéter encore et toujours sur notre liberté pédagogique.

Angélique ADAMIK pour le SNALC-Versailles